RIEN - épisode 10

La chambre est bien. Elle est belle. Confortable. Jolie vue. Tout. Tapisserie à fleurs – mais pas moche. Deux photos en noir et blanc – le style Paris au bon vieux temps – encadrées et sous verre. Des petites lampes de chevet avec des abat-jour plissés. Rouge sombre. J’ai envie de boire. Je lutte contre cette envie. Je m’allonge sur le lit. Il est confortable. Large. Avec tous les interrupteurs à portée. J’éteins le plafonnier. J’allume les lampes. Lumière chaude et enveloppante. Belles ombres. Je me sens bien ici. Et puis ça revient : ma mère est morte – Céline est morte. Je me tourne sur le côté. Vers la fenêtre qui me renvoie mon reflet. Quand Céline passait trop longtemps sans boire elle devenait agressive et angoissée. Elle avait des maux de ventre et des migraines. C’était comme ça depuis qu’elle avait mon âge – elle m’a raconté – je n’ai jamais vu – on avait tout ce qu’il fallait à boire – on n’avait aucune envie d’arrêter. L’alcool ne lui causait aucun dégât apparent. Elle avait la peau douce et fine. Elle avait le même genre de voix que les pouffes de ma classe – pas du tout l’allure d’une nana de presque quarante ans. Je me relève. Je fais les cent pas dans la chambre. Des petites lattes soigneusement assemblées. Ca ne grince presque pas. Je ne l’ai jamais vue vomir. Des fois elle se taillait les bras ou le ventre avec un couteau ou alors elle donnait des coups de poings dans les murs jusqu’à se faire saigner les jointures. Le lendemain elle ne pouvait plus bouger les mains. D’autres fois elle voulait se battre avec moi. J’ai envie de sortir. Je ne peux pas rester là à gamberger sans cesse. Il est quelle heure ? Putain je ne sais pas. Il doit être au moins minuit. Je vais voir à la fenêtre. Personne devant le théâtre. Il a l’air fermé. Plus loin il y a un bar. Il a l’air ouvert. Personne en terrasse. Trois tables occupées à l’intérieur. Un type tout seul au comptoir. Il a gardé son imper. Pas beaucoup d’animation. Plus de minuit sans doute. Sa libido devenait incontrôlable et insatiable – quand elle était bourrée. Elle adorait m’exciter – m’allumer. Se refuser à moi et ensuite me prendre de force. Elle était plus forte que moi. Même quand j’étais cuit au point de ne pas pouvoir bander elle y arrivait. Elle aimait des trucs qui m’auraient paru dégueulasses venant d’une autre. Elle aimait que je lui lèche la chatte ou l’anus alors que je venais d’y éjaculer. On buvait tout le temps – du matin au soir. Bière au réveil – elle se réveillait à l’aube – on baisait un peu en fumant des pétards. On se rendormait jusqu’à midi – là on passait au pastis ou au vin et on mangeait ce qu’on trouvait. L’après-midi on marchait dans la campagne ou alors on restait à boire du vin taper des rails d’héro et baiser encore en matant des DVD – on s’endormait à moitié – on parlait – on sortait de la torpeur après le coucher du soleil. On attaquait la vodka et on roulait d’autres pétards – jusqu’à la fin. On ne buvait que des bons alcools – on ne se privait pas – on avait les moyens – avec la liasse que j’avais découverte dans la boite à bijoux. On parlait jusqu’à l’aube – elle me faisait tout son cirque d’allumeuse/violeuse – elle adorait que je la lèche quand elle était à ce stade de défonce – comme ça tous les jours pendant trois mois. Des fois on quittait la maison pour aller se perdre dans la forêt. On allait dans les arbres. On accomplissait des rituels. On faisait des feux. On criait des trucs. C’était bizarre sa religion. J’enfile mon manteau. Je n’oublie pas mon revolver. Tentation de le charger. Non. Ne fais pas cette connerie. Déconne pas. Je sors de la chambre. Je descends l’escalier. Un jeune type en uniforme noir et blanc est à l’accueil. Il me dit bonsoir monsieur. Je lui tends la clé. Je dis à tout à l’heure. Il me dit bonne fin de soirée monsieur. Je sors de l’hôtel. Froid glacial. Je n’ai pas envie de dormir. Non. Je vais passer la nuit éveillé je crois. Et demain : le train. Retrouver ce fils de pute. Retrouver de bâtard. Antoine. Le gendarme. Antoine le gendarme. Je dépasse le bar. Je traverse la place du Chatelet. Le quartier est endormi. Je marche lentement. Je regarde tout – les voitures – les façades – le ciel – la route – je regarde tout – mais rien ne frappe ma conscience. Rien de ce que je vois ne me distrait. Je pense à Céline. A ma mère. Inlassablement. Je tourne en rond. Je ressasse. Je rejoue les conversations. Je me demande ce qu’aurait répondu Céline si j’avais posé autrement la question. Je pose de nouvelles questions. J’écoute les nouvelles réponses de Céline. Je parle à ma mère. J’écoute ses explications. J’écoute surtout les miennes. Je règle mes comptes. Dans ma tête. Avec deux personnes mortes. Ma mère. Morte. Et Céline. Morte. Je leur parle. Je leur parle sans pourvoir m’arrêter et c’est toujours les mêmes phrases. Je n’en peux plus. Je suis épuisé. Je marche. Rien ne me déconcentre.

RIEN - épisode 6

Je pleure. Je pleure sans pouvoir m’arrêter. J’aimerais cesser de penser à cette soirée. Quand elle est morte j’avais encore de sa mouille sur mes doigts. Le bruit de la détonation m’a fait bondir de peur. C’était un bruit énorme. Elle est tombée vers la gauche – dans le feu. Mon premier réflexe – la prendre par les pieds et la tirer hors du feu. Et puis éteindre les flammes dans ses cheveux avec mon pied. Des fragments de cheveux qui volent comme des cendres. L’odeur de viande cramée. Comme un insecte sur une ampoule. Vingt fois plus fort.
La balle était ressortie par l’avant. Elle avait emporté l’œil et le nez et sous la force de l’impact des dents avaient volé. Tout le côté droit du visage était détruit. Le côté gauche – celui par lequel était entrée la balle – était intact. A part un trou sous la tempe – à côté de l’oreille – vers la joue – le sang s’en écoulait lentement – noir – s’amassait sur l’oreille et sur l’herbe au sol. Il y avait une trace – au sol – ça correspondait au moment où je l’avais trainée.
J’étais effaré. Je la regardais – hébété – je regardais le sang couler lentement – comme une boite qui se vide – et s’amasser sur l’herbe – j’entendais le feu – c’était un cauchemar – comme un présent perpétuel – comme si je n’allais jamais quitter cette scène – la nuit et ce feu pour toujours – et pour toujours Céline qui se vide de son sang.
L’œil qui lui restait. Etait fixe.

Je me redresse. Je m’assieds sur le bord du lit. Il est quelle heure ? – je regarde l’heure. Il est vingt et une heures. Il faudrait que je sorte manger. Il faut que je me change les idées. Je ne peux pas rester comme ça. Je ne peux pas rester à me morfondre comme ça. Il faut que je cesse de pleurer. Il faut que je cesse de penser continuellement à Céline. Ca fait une semaine. Une semaine qu’elle est morte. C’est mon deuxième jour sans finir ivre mort. C’est pas mal. Il faut que je continue comme ça. Je me lève du lit. Je fais quelques pas dans ma chambre. Onze mètres carrés. Un lit à une place. Un lavabo. Pas de miroir. Il y a encore les supports – quatre ronds chromés enfoncés dans le mur – mais plus le miroir. Le sol – du parquet à l’ancienne. Pas entretenu. Terne. Les murs : de la tapisserie beige avec des fleurs de lys bleues en alignement vertical – je fais les cent pas. Je regarde à la fenêtre. Je m’éloigne de la fenêtre. Je vais sortir. Je vais me tirer. Trouver un meilleur hôtel. Trouver un bon restaurant. Il faut que je me ressaisisse. Je vais au lavabo. Par réflexe je regarde là où devrait se trouver le miroir. Il y a un rectangle plus clair. Je fais couler de l’eau chaude. L’eau est difficile à régler. Elle arrive brûlante. Je m’en passe sur le visage. Je m’essuie à la serviette. Je me frotte les yeux. J’espère qu’ils ne sont pas trop rouges. Je rassemble mes affaires. Je remplis mon sac. Je quitte la chambre. Je quitte l’hôtel.

J’ai enterré Céline dans le jardin. Devant la maison. Ca m’a pris trois ou quatre heures de creuser la tombe. Jusqu’au matin – j’ai terminé à l’aube. Je l’ai transportée nue – elle a fini nue dans la fosse. J’ai rebouché la fosse. Ca m’a pris dix minutes. Je le sais – j’ai vérifié. Ses habits : je les ai mis au feu. Je me suis douché. Dix minutes. J’ai foutu le camp de la maison. Avec la voiture de Céline. Ensuite j’ai pris le train pour Paris. Je n’ai pas dessaoulé pendant cinq ou six jours. Il fallait ça. Il fallait bien ça. Je me suis branlé – je ne sais pas – peut-être une cinquantaine de fois – si c’est possible. Jusqu’à avoir mal à la bite – mal à la main. Jusqu’à plus pouvoir ni éjaculer ni bander ni débander – ma bite coincée dans un no man’s land. Un entre-deux bizarre et douloureux.

Maintenant je ne sais pas. Ca va mieux peut-être.
Je suis dans la rue. Mon revolver est dans la poche de mon manteau. Je n’ai plus peur. Je ne ressens plus l’angoisse. Plus depuis ce soir-là. J’ai du nettoyer le sang et chercher les douilles et les balles et m’enfuir. J’ai du chercher la balle qui avait traversé sa tête. Je l’ai retrouvée. Chercher les balles – ça m’a pris toute la journée. Je devais m’interrompre pour pleurer – en pleurant je ne voyais plus rien. Je suis parti le soir.

Je ne sais pas pourquoi je suis revenu à Paris. Je ne savais pas où aller. Arrivé à Paris je me suis rapidement retrouvé à Saint-Denis. A contempler les putes. Sans oser en suivre une. Jusqu’à aujourd’hui. Est-ce que ça veut dire quelque chose ? Je ne sais pas trop.
Quand je l’ai enterrée – Céline – ça me fait bizarre – à chaque fois – de penser à elle en l’appelant Céline – mais je ne peux pas faire autrement – je n’arrive pas à l’appeler : elle – c’est trop – je ne sais pas – trop impersonnel – trop moche – je trouve ça trop moche. Quand j’étais avec elle – avec Céline – je ne l’appelais jamais par mon prénom – d’abord il n’y avait que nous deux – il n’y avait personne d’autre – aucun étranger – quand je parlais – je ne parlais qu’à elle – quand je l’apostrophais – je l’appelais mon amour – ou ma sorcière – elle m’appelait mon chat – elle était fascinée par les chats.
Je ne ressens plus d’angoisse. Je suis rempli de tristesse – je me sens comme une outre pleine de larmes – un tonneau – quelque chose de rempli à ras-bord et que le moindre mouvement fait dégueuler – le moindre mouvement émotionnel et les larmes coulent automatiquement – je me sens rempli – ça me fait mal – je ressens physiquement la tristesse – comme une fièvre – ou une maladie – j’ai les poils qui se hérissent en permanence – la peau irritée – les reins douloureux – je suis rempli de tristesse – je suis enflé – mais il n’y a plus de peur – plus d’angoisse – même quand je me sens oppressé – ça n’est pas de la peur mais une sensation physique – d’étouffement – de resserrement des choses et d’éloignement des gens – comme si l’air devenait plus dense – trop chaud – la lumière trop vive – les murs plus épais – les gens plus petits et plus loin – mais pas de peur là-dedans.
Je n’ai plus peur. Plus depuis que j’ai creusé une tombe pour Céline. Plus depuis que je l’ai mise là-dedans – mes mains et mes vêtements plein de sang – et que j’ai rebouché.
Je n’ai pas fait de cérémonie. Céline aimait les cérémonies. C’était une mystique. Elle a essayé de m’initier à des trucs. Mais c’était ses trucs. Si c’était moi – qui avait perdu – elle aurait fait – sans doute – une cérémonie. Mais ça n’était pas moi. Dans le trou. C’était elle. Avec la moitié de son visage détruit.

RIEN - épisodes 3 et 4

EPISODES 3 ET 4

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J’aimais la façon qu’avait Céline de baiser.
Je suis rue Saint-Denis. Je regarde les putes par en dessous. Je me demande si elles m’ont remarqué. Ca fait trois jours que je viens là. Que je les mate – une heure ou deux avant de retourner à la chambre d’hôtel. J’ai envie d’aller avec elles – je ne peux pas – je ne peux pas encore – c’est trop difficile. Je me branle le soir en pensant à Céline. A la première fois que nous avons baisé – quelques heures à peine après qu’elle a débarqué dans la maison.
Dans son sac il y avait une bouteille de vodka. De la vodka merdique – la marque premier prix de Monoprix – je ne me souviens plus du nom – elle l’avait acheté à l’épicerie du dernier village avant la maison – elle comptait se la taper tranquille dans la chambre de ma mère – se bourrer la gueule en sa mémoire.
Quelques heures après on baisait.
Je regarde les putes. Je regarde celles qui lui ressemblent.
– Tu es puceau ? elle m’avait demandé.
Je n’avais pas su quoi répondre et elle m’avait souri.
J’étais allongé sur le dos – on parlait – je sais plus trop de quoi on parlait.
Je m’arrête de marcher. Je m’adosse à côté d’un porche qui mène à une cour. Céline est venue s’allonger près de moi. J’ai pris son visage dans mes mains – elle s’est laissée faire. Je l’ai embrassée. Son haleine était bien chargée d’alcool – la mienne devait pas être mieux.
On s’est embrassé comme ça en se caressant le visage – ça a duré plusieurs minutes. Ses mains étaient douces et moites. Elle salivait beaucoup. Elle gardait les yeux fermés. Moi j’ouvrais les miens pour voir son visage. Pour voir les émotions sur son visage.
Je bandais. Elle se pressait contre moi.
Ses mains sont passées sous mon tee-shirt – les miennes ont fait pareil. Elle avait des seins lourds et sensibles. On s’est peloté. Ca a duré longtemps. Et puis elle a glissé une main dans mon pantalon. J’ai été surpris par son geste. Elle s’est d’abord un peu écarté et puis sa main est entrée sans même qu’elle ait besoin de défaire un seul bouton. Sa paume s’est collée contre ma bite.
Je bande simplement à repenser à ce moment. Sa main était moite de sueur. Elle ne pouvait pas me branler – pas assez de place – elle faisait glisser sa main de bas en haut – ça suffisait. J’ai essayé de faire pareil – d’enfoncer ma main dans son jean – elle s’est écarté – elle a dit : « non c’est ton tour ». Elle a souri. Ses yeux brillaient. Sa main n’allait pas vite. Je sentais le plaisir monter doucement. Elle pressait un peu plus fort au fur et à mesure que je gonflais.
Je regarde les putes. Je regarde celles qui lui ressemblent.
Elle me souriait. Elle était attentive aux mouvements du plaisir qui altéraient mon visage – comme moi lorsque nous nous embrassions. Je souriais involontairement. Je me crispais. Quand je me suis senti jouir je l’ai prévenue.
Il fait soleil. Ca donne une lumière jaune et chaude qui me donne envie de pleurer.
Une fille noire m’aborde. Elle des cheveux longs et légèrement bouclés – du rouge à lèvre – un body violet et une mini jupe en cuir rouge – sa main est douce et sa voix est gaie.
– Viens je t’emmène quelque part.
Je suis surpris. Je me laisse faire. Nous traversons la rue. Elle me tient toujours par la main. Nous entrons dans un immeuble délabré. L’escalier est en bois. Le bruit de nos pas est très mat. Elle a des talons hauts. Elle passe devant moi. Elle roule du cul. Au deuxième étage elle sort une clé et ouvre une porte. On entre dans un studio miteux. Parquet terne et tapisserie des années soixante-dix. Un lit – une penderie – une vieille commode.
– Tu veux prendre une douche d’abord ?
– Non merci.
– C’est cent euros le rapport complet.
– Et pour une fellation ?
– Quatre-vingt.
– D’accord.
Je sors de mon portefeuille quatre billets de vingt. Je me déshabille. Je suis encore en érection – Céline – et la pute regarde ma bite avec amusement.
Je m’allonge sur le dos. Elle se déshabille à son tour – sauf ses bas noirs. Elle vient entre mes cuisses et me branle. Quand je suis suffisamment dur elle déchire l’enveloppe d’un préservatif et me l’enfile sur le gland. Elle le déroule. Je mollis un peu. Elle me prend dans sa bouche. Elle suce de bas en haut en maintenant ses doigts en anneau à la base de mon gland. Ca dure quatre ou cinq minutes. Je caresse ses fesses et l’entrée de sa chatte. Elle a une fente très charnue et lisse. Ses fesses sont très douces. Quand elle me sent prêt à jouir elle relève un peu la tête et ne m’aspire que le gland en serrant fort les lèvres. D’une main elle me branle et de l’autre elle me caresse le ventre. Je jouis. Mon cœur accélère. Mon souffle devient court ma bouche sèche. Elle se relève et elle me sourit. Elle me montre la poubelle où je peux jeter mon préservatif et me tend un rouleau de papier toilette blanc et rêche du genre qu’on trouve au lycée ou dans les cinémas. Pendant que je me nettoie elle se rhabille. Je me rhabille aussi tandis qu’elle allume une cigarette. Elle ne dit pas un mot. Je me sens gêné.
– C’était bien – je dis.
Elle me sourit. Elle ouvre la porte – je constate qu’elle était fermée à clef. Nous descendons – elle passe toujours en premier.
– A bientôt.
– Salut.
Je m’éloigne. Elle retourne à son poste.
Je marche lentement en direction de mon hôtel. Durant le court moment passé dans le studio avec la pute la lumière a baissé. De jaune elle est devenue grise – c’est encore plus triste.
Je trouve tout triste en ce moment.
J’arrive à l’hôtel. Un hôtel pourri. Une chambre minuscule.
Je vais au lavabo. Ma bite est plutôt molle. Elle sent la sueur et le latex. Elle est encore un peu poisseuse de lubrifiant. Je pense à la chatte de Céline. Je n’ai presque rien senti – ma salive plus sa mouille – elle mouillait beaucoup – du coup elle a eu un orgasme au bout d’un moment – quand elle a joui elle a eu des spasmes à l’intérieur – elle donnait des coups de ventre – je sentais quelque chose palpiter autour de ma bite – la serrer – elle a crié plus fort – de plus en plus fort jusqu’à la fin de l’orgasme – son visage détendu et elle a souri comme si elle souriait pendant son sommeil – les yeux fermés – une expression totalement involontaire – incontrôlée – qu’elle ne se connaissait sans doute pas. Ses mains agrippées à mes fesses – ses mains chaudes – collantes de sueur.
J’éjacule dans le lavabo – quelques petits jets blancs – je me rince la bite – je nettoie le lavabo – je vais m’allonger sur le lit – c’est un lit à une place – le sommier grince. J’ai le cafard.
Je me relève. Le lit grince. Je me dirige jusqu’à l’armoire qui occupe le mur d’en face. L’armoire n’a pas de porte. En bas de l’armoire il y a mon sac. Je l’ouvre. Je prends le revolver. Je me demande pourquoi je le garde.
Je sors le barillet – il est vide. Je le renifle. L’odeur de métal. Le colt Taurus. Et Céline qui est morte avec cette arme. Je remets en place le barillet. Je place le canon contre ma tempe.
Je me rends compte que j’oublie un truc.
Je fais tourner le barillet d’un coup sec de la paume donné de bas en haut.
Voilà. Le canon contre la tempe. Un peu appuyé. Je sens le froid du métal. La pression du canon – presque douloureuse. Mon doigt sur la détente. J’appuie. Clic. Je pense : zéro chance de mourir sur six. Je me trouve ridicule. J’ai envie de pleurer. Zéro sur six ou une sur six ça fait pas une grande différence. Quand on y réfléchit bien. Mais ça a suffi. Une sur six.
J’appuie cinq autres fois sur la détente. A chaque fois ça fait clic. L’impact résonne contre ma tempe – se propage à travers l’os et me colle la pétoche.
Quand mes pitreries sont terminées mes mains tremblent. Je pose l’arme sur le lit.
Je la regarde – sans pourvoir en détacher mes yeux.

Ouais. On se défonçait et on picolait beaucoup trop. Avec Céline.
On a joué à Guillaume Tell.
On est sorti de la maison. On a fait un feu. Ca nous a pris un moment. Ramasser des branches – tout ça. Bourré comme on l’était. Ca n’était pas facile. On a baisé dans la forêt. J’étais allongé par terre – tout un mélange de feuilles mortes de cailloux et de trucs pointus me lacérait le dos. Elle était assise sur moi – jupe relevée – elle n’avait pas de culotte – pull et tee-shirt relevés au-dessus des seins. Elle se penchait – tombait à moitié – sur moi – on baisait violemment – moi si bourré que je n’étais pas près de jouir – ses seins venaient sur mon visage. Je mordais les tétons – fort – mes mains sur son dos – à chaque morsure je sentais sa chair de poule – elle prenait son pied – elle a joui – ça faisait un sacré boucan au milieu des arbres – je me suis branlé pour me finir – elle a voulu que je jouisse sur son cou – ça dégoulinait – je me vidais.
Notre dernière baise.
Au bout d’un moment – je me souviens pas de tout – le feu était prêt. Il flambait bien – des flammes – des putain de nom de Dieu de flammes – plus haute que nous – on pouvait pas rester à deux mètres – on cuisait – et la lumière – et le bruit des branches qui craquaient. C’était magnifique.
Je ne me souviens plus qui a eu l’idée de jouer à Guillaume Tell. Ces jours-ci je gardais le révolver tout le temps avec moi. Je tirais sur les arbres – ou au ciel. J’aimais bien tirer quand j’étais saoul – et j’aimais bien tirer quand j’étais défoncé. J’étais tout le temps saoul ou défoncé ou les deux.

Je m’allonge sur le lit. Je prends l’arme. Elle pèse sept cent grammes quand elle n’est pas chargée. Je la tiens à bout de bras pointée vers le plafond. J’ai le bras qui tient l’arme tendu au-dessus de ma tête et l’autre bras replié sous ma nuque. Le poids de l’arme grandit et grandit – une tension envahit mon bras – du poignet jusqu’à l’épaule – la nuque raide et tout devient douloureux – mes muscles sont tétanisés. Je plie le bras et je lâche l’arme sur le lit – le revolver creuse le matelas en y rebondissant.

Elle s’est déshabillée. Elle tournait le dos au feu et elle m’a fait un strip-tease. Elle était près des flammes – moi à quelques mètres. Même raide bourrée – même défoncée à mort – elle bougeait bien et ne tombait pas. Elle était en contre-jour. Son corps apparaissait sombre et nimbé de rouge sang. Elle était superbe. Les flammes volaient derrière elle. Elle était une apparition. Un démon. La suite est arrivée toute seule. Elle a pris une canette de bière encore pleine. Elle l’a posée sur la tête. Ca tenait pas bien – la cannette est tombée sans se casser. Elle a recommencé – je me souviens de la concentration qui figeait son visage – je me souviens aussi de l’alcool qui affaissait ses traits.
La bouteille a fini par tenir. Céline ne bougeait plus. J’ai pris le flingue. J’ai visé. J’ai tiré.
La première balle s’est perdue je ne sais pas où.
J’ai ri. Elle a lutté contre le rire. La bouteille n’est pas tombée. Tout son corps était immobile – comme une statue. Je voyais ses tétons dressés. Je devinais la chair de poule sur sa peau. J’ai visé à nouveau – plus soigneusement – en tout cas j’ai essayé – j’ai raté la bouteille – une vitre de la maison a éclaté sous l’impact.
Nous avons ri tous les deux. Un fou-rire – à s’en faire mal aux côtes. On n’en pouvait plus. Ca a duré – je ne sais pas – peut-être dix minutes. Dix minutes quand même je ne sais pas. C’est très long dix minutes.
Dix minutes. C’est le temps qu’il m’a fallu pour déposer son corps au fond de la fosse et de la reboucher. Dix minutes. Ca je le sais parce que j’ai vérifié. Ca m’a pris aussi dix minutes pour me débarrasser du sang. Dix minutes de douche.

Je pleure.
Je repousse le revolver. Il tombe sur le sol en faisant un important bruit mat et bref. Il n’est plus dans mon champ de vision. Non – on n’a pas pu se bidonner pendant dix minutes. Une ou deux. Grand maximum.

RIEN - roman à suivre - premier épisode

Je ne me souviens plus à quel moment Céline m’a raconté pour Antoine et ma mère. Ce qu’ils faisaient ensemble, leurs délires de secte, leurs fantasmes débiles d’apocalypse. Je ne me souviens plus à quel moment Céline m’a expliqué comment Antoine a tué ma mère et comment tout ça a été filmé. Je buvais trop. Je me droguais trop.

Il est vingt heures trente. Je me mets en route.
Je laisse le fric dans la chambre – à part cinquante euros en pièces et en billets – que je conserve dans une poche. Je ferme la porte. Je descends l’escalier. Je pose la clé sur le comptoir. Je sors de l’hôtel. Je traverse la ruelle jusqu’à une rue piétonne. La lumière du jour décline – devient orangée. La rue est large et le sol dallé. La foule est dense. Flane. S’entasse dans les magasins. Des magasins de fringues. J’essaie de saisir des conversations mais j’en suis incapable. Le trac me comprime la poitrine et le cerveau. Toutes mes pensées tournent autour de ce qui va se passer dans une heure – autour de ma capacité ou de mon incapacité à le faire.
J’ai encore la gueule de bois.
Je n’arrive pas à imaginer que mes actes débordent du présent sur le futur. A me dire que si je fais quelque chose – les conséquences vont se prolonger au-delà de l’instant. Si je casse un truc – je sais pas – si je tire dans la vitrine de cette boutique de lingerie – il y aura du verre partout – la panique – il faudra subir les conséquences – la routine sera modifiée – une autre se mettra en place – ce serait comme modifier un aiguillage – je trouve ma métaphore banale mais j’en suis content. Si je cogne quelqu’un. Il y aura des traces. Qui dureront. Qui seront réelles – observables. Si je me fais mal. Si – par exemple – je me frappe très fort la tête contre ce mur. Tous les jours pendant des semaines je me souviendrai. La douleur me le rappellera. J’aurais en mémoire la couleur blanc cassé du mur. Sa lisseur. Le graffiti à demi effacé proche de l’endroit où mon crane a percuté la pierre. La poubelle pas loin avec une affiche pour un concert collée dessus. J’aurai un pansement. Peut-être des séquelles. J’ai du mal. A accepter ça. Le débordement du présent dans le futur. Si je tue quelqu’un. Il est mort pour toujours. Pour toujours cet acte sera posé. Il n’aura pas de fin. Si je tue quelqu’un. Alors durant toute ma vie je le tue. Et même après que je sois mort. Je continue de le tuer.
C’est quelque chose que je ne peux pas comprendre. Ca.
Les gens me regardent en coin. Je ne veux pas que mon déguisement m’attire d’ennuis.
J’ai le crâne rasé. J’ai un pantalon de cuir noir et des rangers. J’ai un tee-shirt orné d’un symbole du chaos – c'est-à-dire une croix à huit branches toutes terminées en flèches. Une gabardine noire. Le visage maquillé. Pas très bien mais je vais faire avec – du fond de teint blanc et du barbouillage noir autour des yeux et la bouche. J’ai mon arme. J’ai bu pour me donner du courage. Je n’aurais pas du. Je n’ai pas plus de courage et je sens que mes réflexes sont émoussés. Je me trouve ridicule. On dirait The crow après une chimiothérarie.
Le bar s’appelle Barad-Dur. C’est un lieu de rassemblement de tous les mouvements black metal. Il est à l’écart des rues fréquentées. Il se trouve dans un quartier en rénovation. Des maisons sont vides. Des immeubles sont en travaux. Quelques rues où je ne croise personne. Et puis des gens habillées comme moi et qui vont dans la même direction que moi. La plupart semble se connaître. Quelques-uns me regardent de travers. Il y a ceux qui ont les cheveux très longs et ceux qui ont le crâne rasé. Ceux-là ne sont pas maquillés et portent des tee-shirts à croix celtique et des jeans retroussés et des rangers. Je me demande si je suis crédible. Je mélange plusieurs choses. Les autres se classent aisément à leur façon de s’habiller – leur coiffure – les symboles qui ornent leurs tee-shirts. Les païens. Les fachos. Etc. Moi je fais mariole. Je fais déguisé – et c’est ce que je suis – déguisé.
J’espère qu’il n’y aura pas de bagarre. Ces connards ne me font pas peur – j’ai mon arme – mais je préfère rester discret.
Le bar est ouvert. L’emplacement de la vitrine est muré. Le mur est couvert d’affiches pour des concerts de black metal et pour des rassemblement nationalistes. On discerne tout de même les parpaings. Il y a un néon qui diffuse de la lumière mauve au-dessus de l’entrée. Le nom du bar – Barad-Dur – est peint au pochoir au dessus du néon. La typographie est militaire. Une cinquantaine de personne discute sur le trottoir et dans la rue. Par petits groupes mais tout le monde semble se connaître – au moins de vue. Personne n’est habillé normalement. Les fachos semblent majoritaires. Deux types s’écartent de la porte pour me laisser entrer. Ils me regardent de travers. J’entre. Une musique aggressive et lancinante sort des hauts-parleurs. La lumière est rouge sombre. C’est petit. C’était peut-être une épicerie avant. Il y a une dizaine de personnes presque toutes au comptoir. Du sol au plafond tout est peint en noir – il y a des haches et des épées accrochées au mur – il y a des casques médiévaux et d’autres de la seconde guerre mondiale posés sur une étagère – il y a des posters de groupes sur les murs. Il y a des skins accoudés au comptoir. La scène est vide. Plusieurs groupes jouent ce soir. Ca commence à vingt-et-une heures. Les skins me regardent de travers. L’un deux m’apostrophe :
– Hé la tapette ! C’est pas ce soir Depeche mode !
– T’as oublié ton triangle rose ?Je ne réponds pas. Je m’accoude – à l’autre bout du bar.

Patrick Tankule présente le webzine Le Dégueulasse


Le dégueulasse encule.